Hervé FERON

Une tribune d'Hervé Féron reprise par Marianne.fr

Presse
jeudi 30 juin 2016 14:59

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L’exposition de la musique francophone en radio et la diversité musicale ne cessent de se dégrader depuis plusieurs années. Sur certaines radios, 10 titres francophones peuvent représenter jusqu’à 75 % des diffusions francophones mensuelles. Certains artistes sont ainsi diffusés des dizaines de fois par jour sur une même radio ; on subit un véritable matraquage. En outre, certaines radios diffusent des artistes francophones mais à des heures d’écoute non significatives, notamment la nuit. Cet aspect important, sur lequel j’avais personnellement interpellé la Ministre de la Culture, a été traité dans le cadre de la loi Création Architecture et Patrimoine,  dont le texte de la commission mixte paritaire a été adopté par l’Assemblée nationale. Les modifications intervenues en faveur des quotas de chansons francophones tiennent compte de ces stratégies radiophoniques de matraquage.

Malgré cela, la création en chanson française est plus qu’en péril ; elle est aujourd’hui quasiment empêchée par l’impossibilité d’exposition et de diffusion. Les artistes émergents, souvent de jeunes artistes, qui écrivent eux-mêmes les musiques et les paroles en français, n’ont aucune chance de pouvoir accéder aux médias radio et télévision, qui constituent pourtant le passage obligé pour beaucoup d’entre eux, tout le monde n’écoutant pas de la musique sur Internet.

Un artiste ne peut plus faire valoir sa différence car il doit passer sous la toise d’un directeur artistique. Il n’y a aucune approche artistique dans l’évaluation de la proposition ; il n’y a qu’une approche commerciale qui contraint le jeune artiste à un formatage appauvrissant.

Pour que la langue française perdure à travers la chanson, et que la création en chanson soit mieux défendue, en tant que député membre de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, j’ai proposé dans le cadre du projet de loi « Création, architecture et patrimoine » de créer un label discographique public de promotion et de diffusion d’artistes émergents en chanson française dans des styles musicaux les plus divers, du rap à la chanson classique. Les possibilités sont importantes : rien qu’en 2014, 6700 titres nouveaux ont été produits et sont interprétés en Français (rap, rock, variété, jazz, slam, …).

Un tel label public permettrait d’apporter un soutien technique et logistique aux artistes et créateurs émergents et leur permettrait d’accéder à une visibilité publique par le biais des médias, alors qu’aujourd’hui moins de 2% du financement de l’action culturelle par l’État et les collectivités territoriales est destiné à la chanson.

Il ne s’agirait en aucun cas de porter atteinte à la liberté éditoriale des radios ou des télévisions, mais d’utiliser le réseau d’influence de ce label public pour porter à la connaissance des programmateurs les talents émergents en chanson française.

Alors même que les Français plébiscitent les chanteurs francophones (15 des 20 meilleures ventes d’albums en 2014 ont concerné des artistes chantant en français), une plus large proportion de la production française pourrait ainsi être mise en avant. D’autres pistes que ce label pourraient être évoquées, comme la nécessité pour les scènes de musiques actuelles (SMAC) de s’ouvrir davantage à la chanson et à la création en français. Pourquoi ne pas imaginer qu’un label public puisse être partenaire privilégié du réseau des SMAC ? Ou qu’une SMAC elle-même se voit confier une mission de service public en remplissant une fonction de label ?

Je regrette qu'il n'ait pas été possible d’examiner cette proposition, qui avait pourtant recueilli un accueil très favorable parmi les députés, dans le cadre des débats qui se sont achevés autour du projet de loi « Création », et qui aurait pu aller plus loin que la seule modification sur les quotas radiophoniques. Depuis la loi de 1994, les parlementaires ont procédé à plusieurs modifications de cette législation, et ils continueront à le faire, car les évolutions numériques finiront toujours par la rendre inadaptée. 

La solution d’un label serait plus pertinente pour soutenir la chanson française et avec elle, c’est tout un pan de notre économie que nous pourrions relever. La chanson française, qui est une discipline artistique à part entière, contribue en effet au patrimoine culturel français. Il est donc urgent de trouver des solutions pour permettre à la création en français de perdurer.

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