Un malaise à partager

Avec les Jeux Olympiques 2016, accueillis par la ville de Rio de Janeiro, nous avons assisté à un grand événement sportif de niveau planétaire. Je suis le premier à me réjouir de pouvoir célébrer de tels évènements rassembleurs et les valeurs du sport ainsi véhiculées : la fraternité, la solidarité, enflammant pour quelques jours nos discussions dans un contexte international parfois si sombre. Cela fait du bien de pouvoir honorer l’esprit olympique des sportifs du monde entier et en particulier de nos français, la performance et l’esprit olympique de Kévin Mayer, le courage héroïque de Yohann Diniz ou encore le bonheur du couple en or Tony Yoka et Estelle Mossely. Je me réjouis et je félicite plus largement l’ensemble de la délégation française, qui a rapporté 42 médailles, record absolu pour notre pays (depuis les si particuliers Jeux Olympiques de Paris de 1900 avec les 91 médailles rapportées).

Cependant, malgré ce bonheur et cet enthousiasme collectif, il ne faut pas perdre contact avec la réalité. Et voir une telle manifestation, vectrice d’espoir mais coûteuse, se dérouler à côté d’autant de misère dans la ville de Rio et de ses Favelas doit nous faire réagir, et j’ai vraiment l’impression que personne n’en parle. Dans l’une des deux villes les plus inégalitaires du monde (en 2011, selon Euromonitor), que peut apporter un événement comme les JO ? Quelles améliorations peuvent être envisagées pour la population carioca et à l’ensemble du Brésil ?

Un constat déplorable

Les expériences précédentes étaient déjà bien tristes. Ayant accueilli les Jeux Panaméricains de 2007 ou la Coupe du monde de football 2014, Rio a pu observer des phénomènes de gentrification, l’expulsion et la marginalisation des populations les plus pauvres. Ainsi, les prix de l’immobilier ont augmenté suite à une spéculation appuyée par ces événements planétaires, des murs ont été construits afin de cacher la pauvreté à la vue des touristes et étrangers venus du monde entier. De la même façon, alors que plus de 20% de la population de Rio habite dans ces quartiers déshérités, les inégalités ne semblent pas se réduire, d’autant plus que les infrastructures et autres installations pour les Jeux Olympiques, se construisent majoritairement dans les quartiers les plus favorisés (le quartier Barra da Tijuca par exemple). Dans un pays où la violence est repartie à la hausse depuis la Coupe du monde (augmentation de 14% des meurtres en ce début 2016), où une lourde récession pèse à la fois sur l’inflation, les taux d’intérêt (plus de 20%), le chômage et l’éducation des jeunes et où elle impose une austérité délétère aux brésiliens, il me semble que ces investissements pharaoniques (15 milliards de dollars pour le mondial de football, entre 10 et 13 milliards de dollars pour les Jeux Olympiques) pourraient être repensés. Une répartition plus équitable et plus réfléchie des dépenses et investissements aurait pu éviter les conclusions affolantes du Sondage Datafolha (19/07/2016) selon lequel plus de 64% des brésiliens attendaient plus de préjudices que de bénéfices suite à la tenue des Jeux Olympiques. Cela peut aussi expliquer ces tribunes à moitié vides dans un pays souffrant d’une crise à la fois économique et politique.

Quelles solutions pour l’avenir ?

En nous basant sur les expériences précédentes des JO d’Athènes (en partie responsables des déboires actuels du pays), des JO de Pékin (responsables de l’expulsion de plus de 1,5 millions de personnes) ou ceux de Rio (pour lesquelles il est encore trop tôt pour en tirer des conclusions), il nous faut penser un nouveau moyen d’organiser ces événements sportifs. Il ne faut plus concevoir les villes hôtes comme un espace dédié aux touristes aisés, aux sponsors et aux entreprises internationales, mais utiliser ces événements sportifs comme un moyen de favoriser un usage populaire et multiculturel des équipements et de la ville dans son ensemble. Pourrait-on alors envisager que 10% des recettes engagées pour l’organisation des Jeux Olympiques soient utilisées pour lutter contre la précarité, pour la scolarisation, la pratique sportive et la dignité de la vie des personnes les plus marginalisées ? Bien qu’une volonté de ne plus négliger les aspects sociaux et environnementaux au sein des pays hôtes transparaisse dans le « Cadre de Référence Olympique » publié par le Comité International Olympique pour les jeux de 2024, une autre approche est nécessaire et urgente alors que les coûts des différents événements sportifs mondiaux ne vont pas en diminuant, en atteste les prévisions pour le mondial de foot au Qatar (environ 200 milliards d’euros).

Et si soudain le monde retrouvait une conscience et devenait courageux ?

Hervé FÉRON