Intervention d'Hervé Féron en séance publique 08.03.2016

A l'Assemblée Nationale
mardi 8 mars 2016 19:01

Retrouvez l'intervention d'Hervé Féron en séance publique à l'occasion de l'examen du Projet de loi sur la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias :

 

Intervention sur la Proposition de loi visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias

En séance publique le mardi 8 mars

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Merci Monsieur le Président / Madame la Présidente.

Madame la Ministre, chers collègues,

 « Volkswagen, l’entreprise de tous les scandales », « Le monde selon Youtube », « Les placards dorés de la République », « La répression made in France », ou encore « Nutella, les tartines de la discorde » ; de tous ces titres, on peut se demander quel est le point commun hormis le fait qu’ils se veulent accrocheurs.

En réalité, ce sont des émissions que vous ne verrez jamais, car elles auraient toutes été refusées par la direction nommée par Vincent Bolloré au dernier comité d’investigation de l’émission vedette de Canal +, « Spécial investigation ».

Si les conflits entre milieux d’affaires et liberté d’expression ont toujours existé, il faut reconnaître que nous assistons depuis quelques années à une vague de concentrations sans précédent dans les médias, le cas de l’homme d’affaires breton n’étant qu’un cas parmi tant d’autres. A juste titre, le législateur a donc décidé de se saisir pour mieux les protéger de ce qui constitue l’un des pans essentiels de notre culture et de notre démocratie, à savoir, le droit d’expression et d’information.   

En effet, sans journalisme et sans journalistes, il n’y a pas de « conversation nationale », car la mission d’informer est essentielle dans le sens où les journalistes participent à la fabrication de l'opinion en passant tous les sujets d’actualité au tamis de l’analyse critique. Un tel discours renvoie peut-être à une vision idyllique de la réalité, mais cela n’en constitue pas moins le cœur de mission originel des journalistes qu’il est toujours bon de rappeler.

Leur rôle est primordial dans une société où la communication se trouve au centre de toutes les stratégies, et où l’évolution technologique incite à privilégier l’immédiateté plutôt que l’analyse distanciée et mesurée nécessaire à la bonne compréhension du monde.

Pas question donc de « demander la permission » pour enquêter, comme Nicolas de Tavernost, patron de M6, l’a laissé entendre l’an dernier[1], sous prétexte de déplaire aux clients, c’est-à-dire aux financeurs, des chaînes de télévision !

A l’heure où un pays comme la Tunisie forme des officiers de la garde nationale au respect et à la protection des journalistes afin de garantir la continuité du processus démocratique, gardons-nous de faire marche arrière en bridant les gardiens de la liberté d’expression de notre pays. Albert Camus disait bien qu’ « un journal, c’est la conscience d’une nation » !

 

Je pense en particulier à la nécessité d’assurer la confidentialité des sources d’information des journalistes, enjeu majeur dans une démocratie où le rôle d’information implique la recherche d’éléments susceptibles d’éclairer le public par des canaux plus ou moins officiels qui constituent ses sources.

Je me réjouis donc que l’amendement porté par mes collègues Michel Pouzol et Marie-George Buffet ait été adopté à l’unanimité en commission des affaires culturelles, et je souhaite que l’issue de notre vote y soit tout aussi favorable en séance.

Une autre avancée sur laquelle j’appelle votre attention est la suspension des aides à la presse pour les entreprises ayant refusé d’informer le public sur l’actionnariat et les organes dirigeants des publications, qui peuvent avoir les incidences que l’on sait sur la ligne éditoriale d’un média et donner lieu à des pressions sur les journalistes. L’amendement de notre groupe institue une véritable sanction financière qui amènera indubitablement les groupes privés à réfléchir à deux fois avant de manquer à leurs obligations en termes de transparence.    

Au sujet de cette Proposition de loi, on peut néanmoins regretter que les « comités d’éthique » prévus à l’article 7 soient exclusivement dédiés aux radios et aux télévisions, ignorant de ce fait la presse écrite et les nouveaux supports électroniques qui transforment radicalement aussi bien les rapports des journalistes à leurs sources que leurs relations avec leurs lecteurs.

Il n’y a pas de raison non plus que les comités d’éthique ne soient pas élargis aux radios et télévisions locales, mais heureusement notre groupe a déposé un amendement en ce sens qui a été adopté en commission.

Bien que beaucoup reste à faire et que des voix s’élèvent pour clamer leur insatisfaction, je pense personnellement que cette Proposition de loi mérite d’être soutenue car elle doit être considérée comme un premier pas vers la promesse de François Hollande de mettre en place un véritable encadrement de la concentration en matière de médias. Ceci pourra notamment passer par la reconnaissance juridique de l’équipe rédactionnelle, appelée de leurs vœux par d’importants syndicats de journalistes. 

Pour conclure, je citerai le grand Milan Kundera, qui témoigne dans l’Immortalité du rôle vital des journalistes, rappelant pourquoi il est nécessaire de continuer à les protéger :

« Le pouvoir du journaliste ne se fonde pas sur le droit de poser une question, mais sur celui d’exiger une réponse ». 

Je vous remercie pour votre attention.

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[1] Le Supplément, Canal+, 31/05/15 ; http://www.arretsurimages.net/breves/2015-06-02/Capital-M6-protege-bien-ses-clients-id18958