Le statut des artisans du bonheur

Actualité
mercredi 18 juin 2014 12:04

Je commencerai par me permettre de citer Fida Mohissen (Théâtre GiraSole) : "Que les artisans du bonheur puissent avoir une vie digne, fusse-t-elle par intermittence, et ce pour notre bien à tous."

Le malaise des intermittents du spectacle perdure quant à la réforme de leur régime d’indemnisation chômage. Au cours des négociations, il faut rappeler que le MEDEF avait appelé à sa suppression pure et simple au profit d’un rattachement au régime général !

Le patronat signait finalement le 24 mars dernier un texte de compromis avec plusieurs organisations syndicales, prévoyant le maintien de ce système d’indemnisation moyennant plusieurs mesures d’économies, que je juge inadaptées et non souhaitables, qui ont légitimement déclenché l’hostilité des intermittents. Près de 3 mois plus tard, la situation reste explosive, risquant de perturber la tenue de plusieurs festivals.

Pour contrer cette menace et calmer les esprits, le Gouvernement a chargé le député Jean-Patrick Gille d’une mission de médiation. S’il faut reconnaître la compétence de Jean-Patrick Gille sur ces questions, on ne peut que déplorer le mauvais coup qui lui est fait. Cette nomination semble davantage dictée par la volonté d’obtenir une caution morale que fondée sur les qualifications de l’intéressé.

Il faut en effet rappeler que Jean-Patrick Gille est l’auteur d’un rapport très intéressant, contenant des propositions de bon sens pour faire évoluer le régime des intermittents dont le plafonnement à 4.000 euros du cumul mensuel des rémunérations et des indemnisations, le déplafonnement des cotisations d’assurance chômage ou encore l’obligation de proposer un CDI aux salariés travaillant plus de 600 heures avec une requalification automatique à partir de 900 heures.

Avant cette négociation entre le MEDEF et les organisations syndicales, le Gouvernement n'a absolument pas pris en compte ces suggestions constructives, malgré l’approbation de ce rapport à l’unanimité par la Commission des Affaires Culturelles et de l’Education et la Commission des Affaires Sociales de l’Assemblée Nationale. Cela a été sa première erreur dans ce dossier. Cela pose une fois de plus la question de la place des Parlementaires dans cette 5ème République !

Par la suite, François Rebsamen n'a eu cesse d'annoncer qu'il ratifierait cet "accord". Je crois que, sur le fond, François Rebsamen (qui a une parfaite connaissance du terrain par son expérience de Maire) n'est pas d'accord. Mais il avance que "jamais un Gouvernement de Gauche n'aurait refusé de valider un accord signé par la majorité des organisations syndicales". D'abord, ce postulat n'est pas exact, il se trompe : si un accord syndical majoritaire s’élevait contre les valeurs qui nous animent et qui guident notre action publique, nous contenterions-nous de le déplorer, impuissants ? Ensuite, pourquoi un Gouvernement de Gauche devrait-il rester arrêté sur des principes quand ils sont contraires au bon sens ? Et puis la majorité des organisations syndicales, ce ne sont pas toutes les organisations syndicales, et dans ce dossier, les minorités au nom de l'exception culturelle devraient être prioritaires. Le Premier Ministre a annoncé lundi que la nouvelle convention d’assurance chômage négociée entre les partenaires sociaux serait bien validée par le Gouvernement.

Quelles sont dès lors les marges de manœuvre et la mission exacte de Jean-Patrick Gille, alors qu'il est contraint d’assurer un rôle de démineur auprès des intermittents sans pouvoir faire évoluer l’accord contesté ?!  

Soyons francs (et aujourd'hui, c'est un risque réel à prendre pour un député), cette mission est un écran de fumée, elle est vouée à l'échec.

Ratifier cet accord pour un Gouvernement de Gauche qui par ailleurs défend et revendique l'exception Culturelle à la Française, est contre nature.

Le Gouvernement a tort de s’entêter et de camper sur des positions dogmatiques, il doit accepter les critiques et les inquiétudes légitimes qui se manifestent du côté des principaux intéressés. La convention sur laquelle le patronat et plusieurs organisations syndicales se sont entendus est un mauvais accord, source de régression sociale, qui limitera encore davantage le droit et l’accès déjà difficile à une indemnisation chômage. Députés, anciens Ministres, nous avons été nombreux à le dénoncer et à demander au Ministre du Travail de ne pas agréer cette convention. Même au sein du Gouvernement, ce texte ne rencontre pas de consensus général et des voix s’élèvent pour demander des modifications. A titre personnel, je suis persuadé qu'Aurélie Filippetti, François Rebsamen et même peut-être Manuel Valls  trouvent cet accord inapproprié...

Le Gouvernement doit donc revoir son appréciation. Il ne s’agit pas de faire marche arrière et d’abandonner tout projet de réforme mais simplement de promouvoir un système juste qui protège cette catégorie de travailleurs, par essence précaire, dont les réalisations contribuent à la richesse culturelle et au rayonnement de notre pays. Les intermittents ne doivent pas être sacrifiés au nom des relations que le Gouvernement entend préserver avec le MEDEF.

"Nous avons l'art pour ne pas mourir de la vérité" (Camus citant Nietzsche).

 

Hervé Féron

Député Socialiste.