Fronde socialiste, une action salutaire ?

André BELLON, Ancien président de la Commission des affaires étrangères de l’Assemblée
nationale – 1 juillet 2014 à 11:56

 

 

Un nombre significatif de parlementaires du groupe PS ont décidé d’affirmer, en toute liberté au sein de l’hémicycle, leur fidélité à ce qu’ils estiment être le mandat donné par leurs électeurs.

Les remous qui agitent le groupe socialiste de l’Assemblée nationale ne sont pas un simple épisode de plus dans la longue histoire des conflits internes à ce Parti. Car si les frondeurs posent des questions déjà anciennes, ils le font dans des conditions tout à fait nouvelles et dans des formes qui confrontent enfin leur Parti au pouvoir à la question démocratique.

Il y a 20 ans, les déroutes subies par le PS n’avaient amené à aucune réflexion sur les politiques suivies. Les rares critiques portaient sur les méthodes de communication, laissant ainsi entendre que le seul problème résidait dans l’incapacité des citoyens à comprendre des choix a priori nécessaires. Depuis lors, rien n’a changé et les partis principaux ne cherchent aucunement le soutien populaire, se contentant d’espérer l’alternance par la défaite du concurrent et remplaçant les formes démocratiques par l’action de leurs communicants. Quant aux députés, il leur est demandé d’être «solidaires», de participer à l’unité du Parti, manière à peine polie d’appeler à une discipline quasi militaire.

La nouveauté, en ce mois de juin 2014, vient du fait qu’un nombre significatif de parlementaires du groupe PS ont décidé d’exercer ce qui, après tout, semblerait leur rôle normal, c’est-à-dire d’affirmer, en toute liberté au sein de l’hémicycle, leur fidélité à ce qu’ils estiment être le mandat donné par leurs électeurs. Ils ont donc déposé des amendements lors du débat sur le budget rectificatif. La chose apparaîtrait presque banale si la règle du groupe PS n’était pas de ne soumettre au débat public que les amendements acceptés par le groupe et donc, pour l’essentiel, par le pouvoir exécutif. Jusqu’alors, les parlementaires qui voulaient s’en tenir à leur mandat théorique n’avaient qu’une solution : partir. Nombreux le firent silencieusement au fil des années, gardant pour eux la violence de ces années de combat solitaire. Il y a donc là une rupture fondamentale, un événement historique dans le fond comme dans la forme.

Dans le fond car les députés en question posent, au travers de leurs amendements, des questions de politique économique écartées depuis 20 ans du débat public. Ils font donc enfin réémerger des débats que les pratiques institutionnelles et le fonctionnement internes des partis empêchaient depuis plusieurs décennies. Ils font ainsi oeuvre de salubrité publique. On n’a pas en effet, pendant toutes ces années, mesuré ce qu’avait de destructeur pour la vie démocratique le fait de mener des politiques au mépris de la volonté des citoyens.

Dans la forme car ils interrogent implicitement sur la nature de la responsabilité qui incombe aux parlementaires. Il est quand même extraordinaire d’accepter un discours officiel qui refuse tout mandat impératif pour les députés, mais qui, dans les faits, les soumet à un mandat encore plus impératif, celui que leur impose la Présidence de la République, relayée par le Parti du Président.

Ainsi, au travers des votes «politiquement incorrects» de quelques dizaines de «frondeurs», se trouve enfin posée la question de la souveraineté populaire d’où émane la légitimité démocratique, question écartée depuis 20 ans.

André BELLON, Ancien président de la Commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale