Hervé Féron est intervenu cet après-midi en séance publique à l’occasion de l’examen en nouvelle lecture de la Proposition de loi « Liberté, indépendance et pluralisme des médias ». Il y a notamment rappelé que dans un contexte de déploiement de moyens exceptionnels de sécurité, il est plus que jamais nécessaire de renforcer la liberté d’expression et le secret des sources, éléments constitutifs de l’Etat de droit.

 

« Merci Monsieur le Président.

 

Madame la Ministre, chers collègues,

 

Comme le disait George Orwell, « Parler de liberté n’a de sens qu’à condition que ce soit la liberté de dire aux gens ce qu’ils n’ont pas envie d’entendre ».

 

La liberté d’expression, la liberté de l’information, la liberté des médias sont les veines de notre démocratie. En les bafouant, on met à mal la République.

 

Pourtant, le tabou ou la sensibilité de l’opinion ne sont pas les seules grandes menaces qui pèsent sur la liberté des médias.

L’immixtion d’intérêts privés dans l’information, la censure exercée sur les journalistes et la concentration des groupes de médias sont les dangers les plus graves.

 

Cette censure est subtile et invisible. D’abord parce que lorsqu’on lit un journal, que l’on regarde la télévision, ou que l’on écoute la radio, le nom de l’entreprise propriétaire –lorsque ce n’est pas l’Etat – n’est pas identifié. Ensuite parce que ce qu’il y a derrière l’information ne transparaît pas.

 

C’est pour ces raisons que les Français ne réalisent pas toujours que leur pays est mal classé par Reporters Sans Frontières. En un an, la France est passée de la 38ème à la 45ème place quant à la liberté de la presse sur 180 pays évalués.

 

Car il ne faut pas s’y méprendre : si la Fondation Louis Vuitton embellit indéniablement Paris, elle apporte une incroyable publicité à Bernard Arnault et au groupe LVMH qu’il dirige, publicité qui s’étale également en pleines pages du journal Le Parisien depuis qu’il l’a acquis en 2015.

 

Si les milliardaires achètent et forment des grands groupes de médias, c’est moins pour leur rentabilité que pour la capacité d’influence qu’ils procurent. Les journalistes subissent alors une pression et s’autocensurent par contrainte insidieuse s’il n’y pas de contrepoids. L’objectif de cette proposition de loi se situe précisément ici.

 

Grâce aux avancées de cette loi, les journalistes seront moins démunis face aux pressions de leur direction. Je soutiens ainsi le choix de notre Rapporteur Patrick Bloche et de la Commission des affaires culturelles de rétablir le droit de rétractation des journalistes confrontés à un acte contraire à leur « conviction professionnelle » formée dans le cadre des chartes déontologiques.

 

Je ne pense pas que l’on puisse supprimer une liberté fondamentale au métier de journaliste simplement parce qu’elle semble juridiquement trop floue. Ce raisonnement nous mènerait beaucoup trop loin et remettrait en cause les fondements constitutionnels de notre démocratie.

 

Je me réjouis également que nous puissions enfin remédier aux lacunes de la protection du secret des sources des journalistes. Cela a été possible grâce au rétablissement en Commission du fait justificatif d’éventuels délits d’atteinte à l’intimité de la vie privée, de recel du secret professionnel et de recel du secret de l’enquête et de l’instruction, lorsque ces délits ont permis d’obtenir des informations dont la diffusion au public constitue un but légitime dans une société démocratique.

 

Toutes ces mesures sont parfaitement conformes à la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Si en principe, la Cour a énoncé encore cette année dans son arrêt Bedat contre Suisse que  « la protection des sources doit céder le pas devant la protection du secret de l’instruction », elle a déjà estimé que « l’intérêt de la société démocratique à assurer et à maintenir la liberté de la presse » constitue une exception à ce principe, comme dans son arrêtFressoz et Roire contre France.

 

L’article 7 va également dans le sens d’un renforcement de la liberté de la presse française. Des comités chargés de veiller au respect des principes d’honnêteté, d’indépendance et de pluralisme de l’information et des programmes sont généralisés. Ils concernent des services de télévision ou de radio à vocation nationale désormais aussi bien publics que privés.

 

On peut néanmoins regretter que ces comités soient exclusivement dédiés aux radios et aux télévisions, ignorant de ce fait la presse écrite et les nouveaux supports électroniques qui transforment radicalement aussi bien les rapports des journalistes à leurs sources que leurs relations avec leurs lecteurs.

 

Bien que beaucoup reste à faire, je pense personnellement que cette Proposition de loi mérite d’être soutenue car elle constitue un pas de plus vers un véritable encadrement de la concentration en matière de médias.

 

Alors que nous assistons à un déploiement de moyens exceptionnels en matière de sécurité suite aux récents événements tragiques, il y a une vraie cohérence dans le même temps à renforcer la liberté d’expression et à garantir le secret des sources, éléments constitutifs de l’Etat de droit.

 

La liberté d’expression, fruit de longs combats, n’est jamais définitivement acquise. Elle est encore une réalité minoritaire à travers le monde et il faut toujours lutter pour l’acquérir ou la préserver.

Comme l’a dit le journaliste André Guillois, « Dans la plupart des pays, les citoyens possèdent la liberté de parole. Mais dans une démocratie, ils possèdent encore la liberté après avoir parlé. »