Agir pour vous et avec vous

Jour : 14 octobre 2018 (Page 1 de 2)

Par Hadrien Mathoux

Source : Le Monde.

L’intellectuel, dont la parole publique est devenue rare, a tenu le 3 octobre à Sciences Po une conférence d’analyse du macronisme.
Pendant une heure et demie, le démographe a multiplié les flèches en direction d’Emmanuel Macron, de ses députés et de ses électeurs.

On avait perdu l’habitude d’entendre l’analyse d’Emmanuel Todd sur l’actualité politique.

L’anthropologue et historien n’apparaît plus que de manière épisodique dans les médias :

pour essuyer les plâtres de l’émission de Frédéric Taddéi sur Russia Today le 27 septembre,

en fin de soirée dans l’Emission politique de France 2 un an auparavant, ou à l’occasion d’un entretien dans Marianne.

Le 3 octobre, l’intellectuel qui a prédit l’effondrement de l’URSS et le printemps arabe a donné une conférence à Sciences Po,

où il était l’invité de Critique de la raison européenne, l’association souverainiste de l’école de la rue Saint-Guillaume à Paris.

« Pour moi, la toile de fond du macronisme, c’est une certaine honte d’être Français »

En confiance dans un cadre propice, Emmanuel Todd s’est montré fidèle à lui-même :

sur un ton badin et flegmatique, il a enchaîné les flèches contre la Macronie, sujet qui « ne l’intéresse pas du tout« 

mais auquel il a tout de même consacré plus d’une heure et demie (voir la vidéo ici). Ne reculant pas devant l’outrance,

il a qualifié tour à tour Emmanuel Macron de « nain intellectuel » ou de « puceau de la pensée« .

Mais il a aussi repris son costume d’analyste, livrant d’abord son regard sur la campagne présidentielle de l’an dernier,

notamment sur les personnes « en extase » devant le candidat En Marche qui selon lui « racontait des trucs absolument pas intéressants avec un air de messie (…),

le genre de machins qu’on apprenait à Sciences Po avant la grande crise de 2008« . Comment, alors, expliquer sa victoire ?

Todd estime que « dans le contexte d’émergence du macronisme, il y a ce qu’il faut bien appeler une très grande médiocrité morale.

Doit-on la situer dans l’ensemble du pays ou dans les classes moyennes ?

La morale reposait sur des structures stables, anciennes et historiques – la culture catholique, la culture communiste,

la culture socialiste, la culture nationale, gaulliste -, tout ça a explosé, on est dans un monde d’immoralité.

Pour moi, la toile de fond du macronisme, c’est une certaine honte d’être Français ».

 

Les électeurs d’Emmanuel Macron, Todd les décrit comme « des gens des classes moyennes,

ayant souvent une bonne éducation, qui se prennent pour autre chose que ce qu’ils sont, qui se pensent bons,

qui se pensent intelligents, qui sont dans un état de lévitation psychique ».Reprenant les cartes électorales,

dont il est un observateur attentif depuis ses ouvrages avec Hervé Le Bras, il analyse le vote Macron comme

« la vieille carte socialiste avec des bastions catholiques supplémentaires qui ont sans doute quelque chose à voir

avec le ralliement de Bayrou, et une plus grande visibilité des métropoles ».

 

Plus sur Marianne :

« Il ne faut pas regarder la question migratoire de manière hémiplégique »

 

« Chez les jeunes diplômés en perte de vitesse, la désignation d’une France d’en bas, fermée (…)

peut s’analyser exactement dans les mêmes termes que la xénophobie anti-Arabes »

C’est d’ailleurs lorsqu’on l’interroge sur une des théories phares d’explication du vote macroniste que Todd se montre le plus percutant :

le démographe réfute totalement l’idée des « deux France« , celle des métropoles mondialisées face à celle de la périphérie.

« Ça ne peut être que fauxpuisque Le Pen et Macron ne rassemblent que 45% des électeurs.

On n’est absolument pas dans une repolarisation de l’électorat ». Lui se refuse à voir l’électorat macroniste comme celui des gagnants de la mondialisation :

« L’interprétation dominante, moralisatrice à sa manière, c’est que les gens qui votent Le Pen sont des losers (…), et que les gens, les jeunes en particulier, qui ont voté Macron,

sont des winnersMais ça ne correspond pas du tout à l’évolution économique et socio-culturelle observée dans le monde occidental ». 

Pour Todd, « les catégories super macronistes de jeunes diplômés sont des catégories qui, par rapport à ce qu’étaient leurs aînés diplômés, sont en chute sociale.

Ce sont des déclassés virtuels. Évidemment, leur taux de chômage est plus faible mais leurs conditions de travail,

l’intérêt de leur travail n’est en rien comparable à celui des générations précédentes ».

Et c’est pourquoi, d’après Emmanuel Todd, le vote Macron des jeunes diplômés serait… « une réaction au déclassement« .

Explication : « Vous avez les ouvriers français dont la peur du déclassement les amène à chercher quelqu’un en dessous : les Arabes, ou les étrangers.

Chez les jeunes diplômés en perte de vitesse, dans leur inconscient absolu, finalement, la désignation d’une France d’en bas, fermée,

en ancrage territorial, peut s’analyser exactement dans les mêmes termes que la xénophobie anti-Arabes. Simplement,

là ce sont les prolos français qui sont pris pour cible par les déclassés d’en haut ». Le macronisme serait donc le produit de « l’effondrement moral des classes moyennes » françaises,

conclut Emmanuel Todd.

« Macron a inventé l’irrealpolitik, une politique extérieure toute de verbe qui n’a plus aucun rapport avec la réalité du monde »

L’intellectuel a également pointé son viseur sur les députés LREM : « Une Assemblée recrutée sur CV

dont l’absence de convictions idéologiques générale ne peut être que remarquable« ,

« à l’intersection de la désintégration politique et de l’effondrement moral de la société« .

Puis, revenant sur leur leader, il en a fustigé la politique étrangère. « Macron a inventé l’irrealpolitik,

une politique extérieure toute de verbe qui n’a plus aucun rapport avec la réalité du monde, où l’on s’envoie des grandes claques dans le dos« ,

persifle-t-il, fustigeant un « problème d’insuffisance intellectuelle et de manque de formation« ,

« une incompréhension préoccupante par rapport à ce qui se passe dans le monde anglo-américain« .

En effet, Todd estime que « le virage souverainiste, protectionniste et national » ayant démarré aux Etats-Unis et en Angleterre est inéluctable,

et qu’il ne servirait à rien de s’y opposer comme le fait le chef de l’Etat.

La conclusion est extrêmement sombre, tout comme le ton de la conférence. Le macronisme ?

« Un moment d’hallucination collective des classes moyennes qui se sont racontées qu’un type jeune allait tout d’un coup mettre la France en lévitation« .

La France ? « En grand état de risque, parce que ses classes moyennes sont assez méprisables moralement en ce moment,

mais aussi parce que les gens qui sont aux commandes ne sont juste pas au niveau en termes de perception de l’Histoire« .

Quant à la popularité en chute libre du chef de l’Etat, Emmanuel Todd ne se montre pas plus optimiste :

« Si on unifie l’UMPS et qu’on l’appelle Macron, on obtient toujours la même chose.

Macron est tout simplement en train de tomber dans la trappe où tous les autres sont tombés.

Sauf que maintenant, revitaliser la comédie gauche-droite, ça va poser un problème ». 

En bref, les deux hommes partagent un prénom, et c’est à peu près tout.

Par Hadrien Mathoux

Source : Le Monde.

L’intellectuel, dont la parole publique est devenue rare, a tenu le 3 octobre à Sciences Po une conférence d’analyse du macronisme.
Pendant une heure et demie, le démographe a multiplié les flèches en direction d’Emmanuel Macron, de ses députés et de ses électeurs.

On avait perdu l’habitude d’entendre l’analyse d’Emmanuel Todd sur l’actualité politique.

L’anthropologue et historien n’apparaît plus que de manière épisodique dans les médias :

pour essuyer les plâtres de l’émission de Frédéric Taddéi sur Russia Today le 27 septembre,

en fin de soirée dans l’Emission politique de France 2 un an auparavant, ou à l’occasion d’un entretien dans Marianne.

Le 3 octobre, l’intellectuel qui a prédit l’effondrement de l’URSS et le printemps arabe a donné une conférence à Sciences Po,

où il était l’invité de Critique de la raison européenne, l’association souverainiste de l’école de la rue Saint-Guillaume à Paris.

« Pour moi, la toile de fond du macronisme, c’est une certaine honte d’être Français »

En confiance dans un cadre propice, Emmanuel Todd s’est montré fidèle à lui-même :

sur un ton badin et flegmatique, il a enchaîné les flèches contre la Macronie, sujet qui « ne l’intéresse pas du tout« 

mais auquel il a tout de même consacré plus d’une heure et demie (voir la vidéo ici). Ne reculant pas devant l’outrance,

il a qualifié tour à tour Emmanuel Macron de « nain intellectuel » ou de « puceau de la pensée« .

Mais il a aussi repris son costume d’analyste, livrant d’abord son regard sur la campagne présidentielle de l’an dernier,

notamment sur les personnes « en extase » devant le candidat En Marche qui selon lui « racontait des trucs absolument pas intéressants avec un air de messie (…),

le genre de machins qu’on apprenait à Sciences Po avant la grande crise de 2008« . Comment, alors, expliquer sa victoire ?

Todd estime que « dans le contexte d’émergence du macronisme, il y a ce qu’il faut bien appeler une très grande médiocrité morale.

Doit-on la situer dans l’ensemble du pays ou dans les classes moyennes ?

La morale reposait sur des structures stables, anciennes et historiques – la culture catholique, la culture communiste,

la culture socialiste, la culture nationale, gaulliste -, tout ça a explosé, on est dans un monde d’immoralité.

Pour moi, la toile de fond du macronisme, c’est une certaine honte d’être Français ».

 

Les électeurs d’Emmanuel Macron, Todd les décrit comme « des gens des classes moyennes,

ayant souvent une bonne éducation, qui se prennent pour autre chose que ce qu’ils sont, qui se pensent bons,

qui se pensent intelligents, qui sont dans un état de lévitation psychique ».Reprenant les cartes électorales,

dont il est un observateur attentif depuis ses ouvrages avec Hervé Le Bras, il analyse le vote Macron comme

« la vieille carte socialiste avec des bastions catholiques supplémentaires qui ont sans doute quelque chose à voir

avec le ralliement de Bayrou, et une plus grande visibilité des métropoles ».

 

Plus sur Marianne :

« Il ne faut pas regarder la question migratoire de manière hémiplégique »

 

« Chez les jeunes diplômés en perte de vitesse, la désignation d’une France d’en bas, fermée (…)

peut s’analyser exactement dans les mêmes termes que la xénophobie anti-Arabes »

C’est d’ailleurs lorsqu’on l’interroge sur une des théories phares d’explication du vote macroniste que Todd se montre le plus percutant :

le démographe réfute totalement l’idée des « deux France« , celle des métropoles mondialisées face à celle de la périphérie.

« Ça ne peut être que fauxpuisque Le Pen et Macron ne rassemblent que 45% des électeurs.

On n’est absolument pas dans une repolarisation de l’électorat ». Lui se refuse à voir l’électorat macroniste comme celui des gagnants de la mondialisation :

« L’interprétation dominante, moralisatrice à sa manière, c’est que les gens qui votent Le Pen sont des losers (…), et que les gens, les jeunes en particulier, qui ont voté Macron,

sont des winnersMais ça ne correspond pas du tout à l’évolution économique et socio-culturelle observée dans le monde occidental ». 

Pour Todd, « les catégories super macronistes de jeunes diplômés sont des catégories qui, par rapport à ce qu’étaient leurs aînés diplômés, sont en chute sociale.

Ce sont des déclassés virtuels. Évidemment, leur taux de chômage est plus faible mais leurs conditions de travail,

l’intérêt de leur travail n’est en rien comparable à celui des générations précédentes ».

Et c’est pourquoi, d’après Emmanuel Todd, le vote Macron des jeunes diplômés serait… « une réaction au déclassement« .

Explication : « Vous avez les ouvriers français dont la peur du déclassement les amène à chercher quelqu’un en dessous : les Arabes, ou les étrangers.

Chez les jeunes diplômés en perte de vitesse, dans leur inconscient absolu, finalement, la désignation d’une France d’en bas, fermée,

en ancrage territorial, peut s’analyser exactement dans les mêmes termes que la xénophobie anti-Arabes. Simplement,

là ce sont les prolos français qui sont pris pour cible par les déclassés d’en haut ». Le macronisme serait donc le produit de « l’effondrement moral des classes moyennes » françaises,

conclut Emmanuel Todd.

« Macron a inventé l’irrealpolitik, une politique extérieure toute de verbe qui n’a plus aucun rapport avec la réalité du monde »

L’intellectuel a également pointé son viseur sur les députés LREM : « Une Assemblée recrutée sur CV

dont l’absence de convictions idéologiques générale ne peut être que remarquable« ,

« à l’intersection de la désintégration politique et de l’effondrement moral de la société« .

Puis, revenant sur leur leader, il en a fustigé la politique étrangère. « Macron a inventé l’irrealpolitik,

une politique extérieure toute de verbe qui n’a plus aucun rapport avec la réalité du monde, où l’on s’envoie des grandes claques dans le dos« ,

persifle-t-il, fustigeant un « problème d’insuffisance intellectuelle et de manque de formation« ,

« une incompréhension préoccupante par rapport à ce qui se passe dans le monde anglo-américain« .

En effet, Todd estime que « le virage souverainiste, protectionniste et national » ayant démarré aux Etats-Unis et en Angleterre est inéluctable,

et qu’il ne servirait à rien de s’y opposer comme le fait le chef de l’Etat.

La conclusion est extrêmement sombre, tout comme le ton de la conférence. Le macronisme ?

« Un moment d’hallucination collective des classes moyennes qui se sont racontées qu’un type jeune allait tout d’un coup mettre la France en lévitation« .

La France ? « En grand état de risque, parce que ses classes moyennes sont assez méprisables moralement en ce moment,

mais aussi parce que les gens qui sont aux commandes ne sont juste pas au niveau en termes de perception de l’Histoire« .

Quant à la popularité en chute libre du chef de l’Etat, Emmanuel Todd ne se montre pas plus optimiste :

« Si on unifie l’UMPS et qu’on l’appelle Macron, on obtient toujours la même chose.

Macron est tout simplement en train de tomber dans la trappe où tous les autres sont tombés.

Sauf que maintenant, revitaliser la comédie gauche-droite, ça va poser un problème ». 

En bref, les deux hommes partagent un prénom, et c’est à peu près tout.