Pepone !
Il y a 3 ans, j’avais commencé la rédaction d’un (long) livre dans lequel je raconte de très nombreuses rencontres
faites dans ma vie avec de belles personnes qui m’ont fait grandir. Ce livre est toujours en gestation, je le terminerai
certainement un jour… Il y avait un paragraphe qui évoquait Pepone, inspiré d’un texte autobiographique que
Pepone m’avait confié. Je vous le fais partager…
Je ne peux pas refermer la page football sans vous parler d’un « personnage » atypique, exceptionnel
de par son histoire personnelle, mais surtout de par sa faconde et sa générosité.
Isaac Niego, né en 1929 à Paris. On l’appelle Pépone…
Depuis plus de trente ans, il est le charismatique président du Jarville-Jeunes-Football-Club, petit club
mais très performant dans un quartier populaire, délaissé, pour ne pas dire oublié par les politiques locaux.
Et ce charisme, cette force d’agir, Pépone les a puisés dans son histoire douloureuse, hors du commun.
Pepone n’a quasiment pas connu son père Moïse Niego, communiste, parti combattre les franquistes en
Espagne et qui avait abandonné sa famille.
Ses grands-parents turcs et juifs avaient quitté la Turquie en 1870. Arrivé à Marseille à l’âge de quatre ans,
Isaac habite avec sa mère, son frère et ses deux sœurs, dans une pièce unique de 16m², dans l’appartement
de ses grands-parents. A la mort de sa mère, il est logé dans la cave, il doit voler pour manger, puis il est placé
en centre de redressement. Pendant la guerre, il échappe à des rafles, mais, sous ses yeux, ses cousins qui ne
sont que des enfants sont emmenés pour Dachau. Il se trouve en situation d’être fusillé par les allemands,
il s’en sort. Il est emmené en camion pour être déporté, et là encore, il parvient à s’évader…
Juif, il se fait baptiser catholique pour ne pas être arrêté par les nazis.
Au lendemain de la guerre, il a 16 ans, à Marseille, il dort dans la rue, il vit de petits boulots, et d’expédients.
Il ne choisit pas vraiment, devient un voyou et fréquente forcément la pègre marseillaise. Se succèdent alors
les mauvais coups, les braquages, les règlements de comptes…
Jusqu’au jour où il est condamné à 10 ans de prison pour braquage et attaque à main armée : Les Baumettes,
Fresnes, Ecrouves, puis Clairvaux à 23 ans !
Des mois à l’isolement, des conditions de détention immondes.
C’est le hasard qui conduit Isaac Niego à sa sortie de Clairvaux en centre de semi-liberté à Nancy en 1961.
Il entre en usine et décide de tourner définitivement la page avec son passé de voyou. Mais ce n’est pas si simple.
Il a payé, largement payé. Son existence n’a été que douleur, mais sa nouvelle vie ne sera pas facile pour autant,
les « bien-pensants » ne lui pardonnent pas, il subit au quotidien, leur jugement, la rumeur, les mesquineries…
Mais il est fort, décidé et fier. Il se bat, rencontre sa future épouse, qui deviendra pour lui une formidable
motivation, il fait un autre choix de vie.
Isaac Niego a toujours été altruiste, solidaire envers les plus fragiles. Il s’investit dans des associations, il aide
ceux qui sont en difficultés et consacre désormais sa vie aux autres. Avec son épouse, ils deviennent famille
d’accueil, ils adoptent même une petite fille.
Et puis, dans cette ville, Jarville, en banlieue de Nancy, il y a un quartier populaire « la Cali », avec un club de
football, qui a plutôt mauvaise réputation à l’époque.
Isaac Niego, le foot, c’est toute sa vie, il y a toujours joué, et puis… il est marseillais.
Il rencontre Alain Rigole, excellent entraîneur de Jarville-Jeunes et éducateur, qui partage au moins trois choses
avec lui : la passion pour le foot, l’intérêt pour les jeunes de ce quartier et puis, ils sont originaires de Marseille
tous les deux.
Celui que tout le monde appelle désormais Pépone se consacre pleinement à ce club, il se sert de ce qu’il a
appris, des erreurs qu’il a commises, pour apporter son expérience aux jeunes. Et tout cela avec une sorte de
folklore local. Ici, tout le monde connaît Pépone et tout le monde le respecte.
Pourquoi le surnomme-t-on comme ça ? Il est vrai que physiquement, il fait penser (avec sa moustache) à Pépone
de « Don Camillo », mais son accent de Marseille et sa gouaille rappellent aussi souvent Michel Galabru, il est
pittoresque, facilement jovial, mais aussi vite emporté par une colère passionnelle.
Un jour, il s’adressait à des petits enfants, en parlant « normalement » (normalement selon Pépone !). Pour les
rassurer, je me suis senti obligé de préciser « vous savez les enfants, il parle fort, mais il est très gentil ! »
Pepone est une forte personnalité ciselée par les coups et les blessures d’une vie de misère, dont il a su extraire
les leçons. Écorché vif, jamais méchant.
Il continue à déranger les « notables établis », mais il a tant apporté à son club, à ce quartier, à ces jeunes, il est
indispensable.
Pepone dit « pour moi, le football, c’est la convivialité, la famille et aussi l’éducation pour la jeunesse ».
Ce club qui avait mauvaise réputation, il en a fait aux côtés d’Alain Rigole, un exemple.
Petit club amateur, il a su former des jeunes qui, pour certains, sont devenus de bons professionnels
et dont ont pu profiter ensuite certains grands clubs. Jarville-Jeunes a évolué plusieurs années en CFA2
(Championnat de France Amateur) avec de petits moyens, réalisant souvent des exploits. En 2007 le club
atteint les 16ièmes de finale de la Coupe de France ! En 2011, il bat Dijon, équipe de Ligue 2 et se qualifie
pour les 32ièmes de finale pour jouer contre Sochaux, club de ligue 1 ! Ce nouvel exploit valut aux jeunes
de Jarville de jouer ce match au stade Marcel Picot, habituellement réservé aux professionnels. Quelle
fierté pour Pepone !
Mais cette fierté est aussi collective, une identité à partager, et Pepone en est le guide, la mascotte.
Beaucoup de petits dirigeants sportifs sont admirables et méritent d’être mis à l’honneur, mais si j’ai
souhaité vous parler de Pepone, c’est parce que son parcours est inouï.
Pour moi, c’est une belle rencontre, c’est pourquoi, nous sommes amis. Avec son accent savoureux de
Marseille, un jour s’adressant à moi, il me dit : « tu sais, fils, il y a des médisants, des donneurs de leçons,
mais quand je me regarde dans la glace, moi, je me trouve beau ! »