Agir pour vous et avec vous

Jour : 5 mai 2020

« Ma Lou, papa ne t’enverra pas à l’école le 11 mai

Marilou, je sais qu’à 5 ans c’eslong deux mois sans voir tes copines. Tu l’as dit au téléphone à Justine : ta grande sœur n’est plus à la maison et tu t’ennuies sans grand frère pour jouer avec toi. Je le sais bien. Mais nous ne t’enverrons pas à l’école le 11 mai.

On voudrait que tu y retournes pour oublier les images entraperçues d’une salle de réanimation et « le corona » comme tu l’appelles. Pour que tu puisses parler avec tes amis, jouer avec eux, lancer les ballons et attraper les chats-perchés. Mais tu ne pourras pas. Tu y ferais peut-être des mathématiques et c’est important les mathématiques. Mais je ne sais pas si on peut faire semblant d’être une princesse, rigoler avec les copines, le tout en pensant à la distance de sécurité de 1m50. Et ce même quand on est bon en mathématiques. On ne peut pas penser à tout ça quand on a 5 ans. Et c’est sans doute mieux comme ça. Si la récréation doit devenir pesante comme un journal télévisé, alors tu seras mieux avec moi.

Tu seras mieux avec moi parce que ta maîtresse, qui est si douce, devra t’empêcher de prendre dans tes bras Léonie et de courir en riant après Clément. La pauvre. Et je ne veux pas que tu grandisses dans une école où les câlins sont proscrits. J’ai peur que l’on ne te fasse trop bien passer l’idée que les autres sont dangereux. A 5 ans en maternelle, on dit qu’on se socialise et je ne veux pas que tu te construises en pensant que l’autre est contagieux. Ce serait bien mal t’éduquer.

Depuis deux mois on t’a déjà expliqué que même si tu es toujours aussi vive et maligne, peut– être que le méchant virus est là, caché en toi comme un serpent insidieux. Qui attend le moment. Et tu sais que tu peux le transmettre aux gens. Tu as bien compris quon ne doit pas voir ton papi-zazou pour ne pas le rendre malade. Tu t’es comportée comme une grande, je suis fier de toi. Mais ça doit s’arrêter-là. On t’en a demandé assez. Tu as fait ton devoir.

Je ne veux pas que si demain maman tousse, ou que si un de nous va à l’hôpital, tu puisses te demander si c’est de ta faute. Si c’est de ta faute, parce que l’autre fois tu étais trop près de Jules ou parce que tu as embrassé Margaux, et que la maîtresse t’a grondé. Tu n’as pas à porter la responsabilité de nous protéger. C’est nous qui te protégeons, pas l’inverse. C’est important pour un enfant de savoir ça. A ton âge, c’est peut-être même plus important que de savoir lire.

J’aimerais te raconter une belle histoire, te dire qu’on a rouvert ton école pour que tu grandisses et t’épanouisses. En un mot pour ton bien. Mais ce n’est pas vrai. Ça pourrait être même pour ton mal, pour la maladie, car tu risques de tomber malade. On le sait. On le sait tous, nous les adultes. Je n’aime pas qu’on me mente, je ne te mentirai pas. Il faut que tu y retournes pour le bien de la nation, des marchés, de l’économie. Parce que les petits enfants doivent être gardés pour des parents qui doivent produire. On me dit que tu as peu de chance de tomber malade, mais qui risque la santé de son enfant pour de l’argent ? Sans doute ne suis-je pas aussi sérieux ou aussi responsable que ces messieurs qui gèrent tous ces milliards. Moi je n’ai que toi et je ne te jouerai pas au casino des statistiques. C’est important l’économie. Mais nous voulons t’apprendre qu’en valeur rien n’est au- dessus de la vie.

Alors, on va attendre encore un peu. Quand tu retourneras à l’école, tu iras pour écouter des sons, chanter des chansons et mettre Clément en prison pendant la récréation. Ce sera léger et sans autre barrière que celles de vos imaginations. Ce sera sans peur et sans que l’on s’inquiète pour toi. Tu n’y retourneras pas tant qu’on ne saura pas si, lorsque tu auras du chagrin, quelqu’un pourra te prendre dans ses bras.

En attendant, je suis désolé, excuse-nous. Nous les adultes, on a sans doute commis des erreurs pour en être-là. Nous aussi nous aurons des leçons à apprendre de tout cela. Mais ce n’est pas à toi de porter tout ça dans ton cartable déjà trop lourd. Surtout pas dans une école qui ressemblerait trop à un hôpital, avec les règles d’une caserne et l’ambiance morne d’une centrale nucléaire. On veut que tu apprennes encore à aimer l’école.

En attendant, on va regarder un documentaire à la télé, on jouera après aux dés et on va relever le super-challenge que la maîtresse a préparé sur la tablette. Allez fais un sourire et un câlin, ici on a encore le droit. Et on appellera Justine tout à l’heure. »

« Ma Lou, papa ne t’enverra pas à l’école le 11 mai

Marilou, je sais qu’à 5 ans c’eslong deux mois sans voir tes copines. Tu l’as dit au téléphone à Justine : ta grande sœur n’est plus à la maison et tu t’ennuies sans grand frère pour jouer avec toi. Je le sais bien. Mais nous ne t’enverrons pas à l’école le 11 mai.

On voudrait que tu y retournes pour oublier les images entraperçues d’une salle de réanimation et « le corona » comme tu l’appelles. Pour que tu puisses parler avec tes amis, jouer avec eux, lancer les ballons et attraper les chats-perchés. Mais tu ne pourras pas. Tu y ferais peut-être des mathématiques et c’est important les mathématiques. Mais je ne sais pas si on peut faire semblant d’être une princesse, rigoler avec les copines, le tout en pensant à la distance de sécurité de 1m50. Et ce même quand on est bon en mathématiques. On ne peut pas penser à tout ça quand on a 5 ans. Et c’est sans doute mieux comme ça. Si la récréation doit devenir pesante comme un journal télévisé, alors tu seras mieux avec moi.

Tu seras mieux avec moi parce que ta maîtresse, qui est si douce, devra t’empêcher de prendre dans tes bras Léonie et de courir en riant après Clément. La pauvre. Et je ne veux pas que tu grandisses dans une école où les câlins sont proscrits. J’ai peur que l’on ne te fasse trop bien passer l’idée que les autres sont dangereux. A 5 ans en maternelle, on dit qu’on se socialise et je ne veux pas que tu te construises en pensant que l’autre est contagieux. Ce serait bien mal t’éduquer.

Depuis deux mois on t’a déjà expliqué que même si tu es toujours aussi vive et maligne, peut– être que le méchant virus est là, caché en toi comme un serpent insidieux. Qui attend le moment. Et tu sais que tu peux le transmettre aux gens. Tu as bien compris quon ne doit pas voir ton papi-zazou pour ne pas le rendre malade. Tu t’es comportée comme une grande, je suis fier de toi. Mais ça doit s’arrêter-là. On t’en a demandé assez. Tu as fait ton devoir.

Je ne veux pas que si demain maman tousse, ou que si un de nous va à l’hôpital, tu puisses te demander si c’est de ta faute. Si c’est de ta faute, parce que l’autre fois tu étais trop près de Jules ou parce que tu as embrassé Margaux, et que la maîtresse t’a grondé. Tu n’as pas à porter la responsabilité de nous protéger. C’est nous qui te protégeons, pas l’inverse. C’est important pour un enfant de savoir ça. A ton âge, c’est peut-être même plus important que de savoir lire.

J’aimerais te raconter une belle histoire, te dire qu’on a rouvert ton école pour que tu grandisses et t’épanouisses. En un mot pour ton bien. Mais ce n’est pas vrai. Ça pourrait être même pour ton mal, pour la maladie, car tu risques de tomber malade. On le sait. On le sait tous, nous les adultes. Je n’aime pas qu’on me mente, je ne te mentirai pas. Il faut que tu y retournes pour le bien de la nation, des marchés, de l’économie. Parce que les petits enfants doivent être gardés pour des parents qui doivent produire. On me dit que tu as peu de chance de tomber malade, mais qui risque la santé de son enfant pour de l’argent ? Sans doute ne suis-je pas aussi sérieux ou aussi responsable que ces messieurs qui gèrent tous ces milliards. Moi je n’ai que toi et je ne te jouerai pas au casino des statistiques. C’est important l’économie. Mais nous voulons t’apprendre qu’en valeur rien n’est au- dessus de la vie.

Alors, on va attendre encore un peu. Quand tu retourneras à l’école, tu iras pour écouter des sons, chanter des chansons et mettre Clément en prison pendant la récréation. Ce sera léger et sans autre barrière que celles de vos imaginations. Ce sera sans peur et sans que l’on s’inquiète pour toi. Tu n’y retourneras pas tant qu’on ne saura pas si, lorsque tu auras du chagrin, quelqu’un pourra te prendre dans ses bras.

En attendant, je suis désolé, excuse-nous. Nous les adultes, on a sans doute commis des erreurs pour en être-là. Nous aussi nous aurons des leçons à apprendre de tout cela. Mais ce n’est pas à toi de porter tout ça dans ton cartable déjà trop lourd. Surtout pas dans une école qui ressemblerait trop à un hôpital, avec les règles d’une caserne et l’ambiance morne d’une centrale nucléaire. On veut que tu apprennes encore à aimer l’école.

En attendant, on va regarder un documentaire à la télé, on jouera après aux dés et on va relever le super-challenge que la maîtresse a préparé sur la tablette. Allez fais un sourire et un câlin, ici on a encore le droit. Et on appellera Justine tout à l’heure. »