Le Théâtre de la Manufacture à Nancy est un Centre Dramatique National et Julia Vidit, comédienne et metteuse en scène, vient d’en être nommée directrice. 
Lorsque j’étais député, rapporteur pour avis du budget de la Culture à l’Assemblée Nationale, j’avais dénoncé à plusieurs reprises dans mes interventions, le pourcentage très faible de femmes nommées en postes de direction des 76 scènes nationales dans notre pays. La nomination de Julia Virit, qui a sans aucun doute tout le talent et les compétences nécessaires pour l’exercice de cette mission, est une excellente nouvelle et chacun s’en réjouira.
 
Mais au-delà de ce petit progrès dans nos institutions, on ne peut fermer les yeux sur les dysfonctionnements chroniques de ces établissements. En musique, comme au théâtre, il existe en France des établissements culturels qui ont une mission de service public, qui perçoivent des subventions à ce titre, qui monopolisent même les financements au détriment d’autres entités culturelles, mais qui ignorent en grande partie leur mission, pourtant affirmée dans une charte, cahier des missions et des charges des Centres Dramatiques Nationaux.
 
J’espère donc que le théâtre de la Manufacture va évoluer dans ses fonctionnements.
 
En effet, ce Centre Dramatique National annonce que, « très attaché au théâtre contemporain, à travers son activité de création, de coproduction et d’accueil de spectacles, il aurait aussi la volonté très marquée d’être un théâtre de service public, ouvert au plus grand nombre. »
Il exporte ses créations en France et à l’étranger, il accueille chaque année une quinzaine de pièces représentatives de la création d’aujourd’hui, conçues par des théâtres ou des compagnies régionales, nationales ou étrangères…
 
Moi, je dis que la réalité est un peu différente. Ce n’est pas un lieu de démocratisation du théâtre et d’ouverture à des compagnies régionales ou à d’autres publics. Si ça l’était, cela  se saurait. Je cite souvent Antoine Vitez qui disait « Le théâtre populaire, c’est le théâtre élitaire pour tous ».
Or, là, on ne s’adresse qu’à un public d’habitués, des amis, prêts à s’extasier, même lorsque la production n’est pas extraordinaire (ce qui peut arriver, ce qui a pu arriver, convenons en).
Le public, on le fidélise par une régularité dans la qualité, par une diversité de la proposition et en l’étonnant sans cesse. On le fidélise aussi en allant le chercher.
Donc, comme on n’arrive pas à remplir cette salle, on invite très largement, les amis des amis… On finit par organiser un entre soi permanent. Ces Centres Dramatiques Nationaux étaient jadis réservés à la grande bourgeoisie des hyper centres urbains, elle s’adresse aujourd’hui aux bobos et aux amis, on est loin de l’ouverture vers d’autres publics annoncée…
 
Savez-vous par exemple que le festival « Aux Actes Citoyens » en banlieue, comptabilise plus d’entrées payantes en une semaine que le Théâtre de la Manufacture n’en compte en un an ? Il faut donc s’interroger sur ces fonctionnements… 
Pourquoi ne pas décentraliser de temps en temps des spectacles (je dis « décentraliser », je ne dis pas « vendre très cher ce qui est déjà payé par les dotations publiques à de petites communes »). Pourquoi ne pas développer des partenariats qui permettraient sur un territoire de créer une dynamique, de proposer des formations accessibles à un plus grand nombre, une offre de diffusion… L’argent public ne devrait-il pas servir à cela ?
Les compagnies régionales ? Combien peuvent se produire chaque année sur les planches du Centre Dramatique National et à quelles conditions ? Ces compagnies qui, elles mêmes, peinent à vivre et doivent sans cesse pleurer misère pour obtenir des subventions dérisoires auprès des collectivités, car trop souvent méprisées par la DRAC… Là encore, il ne faut pas nous raconter d’histoires… Il faudrait offrir solidairement et régulièrement la possibilité à ces petites compagnies de créer et de présenter leur production dans de bonnes conditions. Pourquoi ne pas se fixer des objectifs transparents en ce sens ?
 
Enfin, ces Centres Dramatiques Nationaux (car ce que je dis là se passe de la même façon dans tous les Centres Dramatiques Nationaux, avec l’argent de nos impôts…) vivent en vase clos. Le directeur (parfois trice) met en scène et se programme dans son établissement. Puis, comme souvent, c’est impossible à vendre, il est programmé dans les autres CDN de France, qui eux mêmes ont des directeurs/trices qui mettent également en scène, alors, en contrepartie il acceptera de les programmer à son tour dans « son » CDN… C’est un petit monde à part qui fait son marché…
 
C’est comme ça qu’avec l’argent public, on tue la Culture. Quand est-ce qu’un Ministre de la Culture, digne de cette fonction, mettra un coup de pied dans la fourmilière ? Cela s’appellerait une révolution…
Molière, dans Dom Juan ou le festin de Pierre, nous disait « On n’a pas besoin de lumière, quand on est conduit par le ciel »…