Depuis plusieurs mois, on voit la contestation contre le Projet de Loi dit Macron pour la Croissance et l’Activité s’accentuer. L’Assemblée Nationale examine depuis fin décembre ce texte libéral et fourre-tout qui traite de tout et n’importe quoi au travers de plus d’une centaine d’articles. Autant dire que les Députés y consacrent en ce moment une grande partie de leur activité législative. Une commission spéciale a même été créée à l’Assemblée Nationale pour procéder à l’examen préalable du texte avant son passage en séance publique, c’est dire l’étendue, la complexité et les enjeux de ce Projet de Loi. J’ai d’ores et déjà eu l’occasion d’exprimer sur ce blog ma position mais il me semble nécessaire de développer plus en détails les raisons pour lesquelles je ne voterai pas ce Projet de Loi.
L’attention du public s’est beaucoup focalisée sur certains sujets comme la réforme des professions réglementées. Ce sont des thématiques qui ont été énormément abordées dans les médias mais sans que l’avis des principaux intéressés ne soit véritablement relayé et donc ne soit très audible. On peut tout d’abord s’étonner qu’une telle réforme soit pilotée par le Ministère de l’Economie alors qu’elle touche des professions qui assurent un service public à la population et aux collectivités locales et qui, en raison de leurs spécificités, ne peuvent être traitées comme des activités ordinaires qui répondraient aux règles de droit commun. Le Projet de Loi se propose pourtant de les traiter comme tel, s’inspirant du modèle libéral anglo-saxon dont on connaît les dérives, au risque d’aboutir à une marchandisation du droit.
La révision des tarifs des actes notariés, prévue dans la version initiale, avec la mise en place d’un « corridor tarifaire » en vue de stimuler la concurrence entre professionnels et de faire baisser les tarifs, aurait atteint son objectif. Mais qui aurait bénéficié de ce système ? Les gens « ordinaires » pour des actes courants de la vie quotidienne passés très souvent à perte par les notaires ou les plus fortunés sur des actes d’un montant conséquent qui ont davantage de marges de manœuvre en termes de négociation ? Peut-on imaginer que sur des actes qui leur font perdre de l’argent, les notaires auraient pu diminuer leurs honoraires ? Les honoraires perçus sur les actes les plus importants permettent aujourd’hui de financer les actes de plus faible valeur ainsi que les nombreuses consultations gratuites assurées par ces professionnels. Les citoyens auraient davantage été impactés par la disparition de ce système. Le Ministre a heureusement reculé sur cette question mais le nouveau dispositif de remises sur les actes moyens n’est guère plus satisfaisant.
Le maintien de la liberté d’installation, disposition pour laquelle le Conseil d’Etat a émis de fortes réserves, et de l’ouverture du capital des études non plus. Ce dernier point ne porte pas uniquement atteinte à l’indépendance des notaires mais également à celle des avocats. C’est une remise en cause des garanties offertes au justiciable avec un risque que les activités les moins rentables ne soient délaissées au détriment du service rendu à tous les citoyens. L’élargissement de la territorialité de la postulation pour les avocats est du même acabit Ce sont les petites structures qui seront impactées au profit des cabinets les plus réputés qui défendent les plus aisés. Ces dispositions fragiliseront le service public du droit alors que son organisation et son fonctionnement reposent sur des règles déontologiques permettant de garantir l’accès de tous au droit et la sécurité juridique des actes.
Ces derniers jours, le débat s’est déplacé sur la réforme du permis de conduire. Aujourd’hui, on le sait, la situation n’est plus tenable. Les délais sont devenus interminables sur certains territoires pour passer le permis, jusqu’à 5 mois, notamment à la suite d’un premier échec à l’épreuve pratique. Cette attente de plus en plus longue occasionne des frais supplémentaires pour les candidats qui prennent des leçons supplémentaires afin de se maintenir à niveau dans l’optique d’une nouvelle tentative. Ces obstacles sont une source de grande préoccupation, notamment pour les plus jeunes qui n’ont pas toujours les ressources financières pour passer cet examen alors même que celui-ci, comme les diplômes, constitue un sésame de plus en plus exigé dans la vie professionnelle.
L’objectif louable de la réforme dont les premiers contours ont été dessinés début 2014 est de diminuer de moitié les délais de passage pour les ramener à 45 jours d’ici 2 ans. Mais au lieu de régler les difficultés en recrutant de nouveaux inspecteurs pour satisfaire la demande, que prévoit le Projet de Loi Macron ? Le recours à des agents publics en lieu et place des examinateurs dans les départements où le délai de passage est supérieur à 45 jours ! Le Ministre a parlé de mobiliser des policiers, des gendarmes (rappelons que des retraités de ces professions sont déjà mobilisés), voire des agents de la Poste. C’est une réponse inimaginable, le permis doit permettre de garantir que les candidats ont la maîtrise de leur véhicule, une analyse suffisante des risques et un comportement adapté en conséquence. Il n’est pas souhaitable d’instaurer une épreuve à deux vitesses et de jouer ainsi avec la sécurité des gens. C’est également une réponse insultante pour les agents publics concernés car en évoquant le fait de les mobiliser, on laisse sous-entendre qu’ils auraient du temps libre dans le cadre de leur activité pour se consacrer à d’autres tâches. Une nouvelle fois, on fait passer les « petits » fonctionnaires pour des nantis ou des fainéants. C’est insupportable !
Enfin, le Ministre souhaite créer de l’activité (on ne peut qu’être d’accord sur ce point) mais pour cela, il propose de simplifier les règles de licenciement en invoquant une rengaine bien connue, à savoir que les employeurs n’embauchent pas car ils ont peur de ne pas pouvoir licencier ensuite une personne qui ne conviendrait pas au poste ou qui générerait des soucis dans l’entreprise. Le Ministre peut espérer atteindre au moins l’un de ses objectifs : avec les mesures qu’ils proposent, les employeurs licencieront probablement plus mais n’embaucheront pas plus ! Il n’y aura pas de création d’emplois, c’est au contraire une véritable régression sociale pour les salariés qui pourront être jetés sur des bases arbitraires, régression amplifiée par les mesures concernant l’extension du travail le dimanche et en soirée ou la réforme du droit du travail par ordonnance.
Pour toutes ces raisons (et pour bien d’autres encore), il m’est inconcevable de voter en faveur d’un tel texte dont certaines mesures trouvent leur origine sous l’ère Sarkozy.