Nous comprenons le processus des Etats généraux, lancé par le premier secrétaire de notre parti, comme l’intérêt pour les socialistes de définir ensemble notre identité.
Cette démarche collective est essentielle, tant les décisions économiques et sociales prises depuis le début du quinquennat s’éloignent souvent de notre projet et de nos engagements de 2012. Plus profondément, elles prennent à contre-pied des valeurs et des orientations fondamentales qui ont fondé nos discours et nos programmes depuis plusieurs décennies. A l’absence de résultats, s’ajoute désormais un doute profond sur le sens de notre action.
Il nous appartient de remettre l’ouvrage sur le métier, de forger des solutions nouvelles, de répondre à l’urgence et au plus long terme. Nous ne quittons pas la gauche dans l’épreuve du pouvoir. Bien au contraire, nous voulons mettre notre énergie et nos idées au service de notre parti, avec des principes solides.
Seul un Congrès invitant les militants à se prononcer sur ces choix pourra d’ailleurs répondre pleinement au profond besoin de reformulation politique qui secoue aujourd’hui le Parti socialiste.
Tout en souhaitant donc que ce rendez-vous du Congrès soit rapidement programmé à notre agenda, le collectif « Vive la gauche ! » entend prendre au sérieux cet exercice préalable. Sans viser l’exhaustivité, notre contribution est l’expression de nos analyses convergentes sur trois questions-clés pour la définition de l’identité socialiste au XXIème siècle.
1. Une politique économique juste et efficace
Contrairement à ce que continuent de ressasser quelques commentateurs paresseux, les socialistes français ont, depuis bien longtemps, pris en compte l’économie de marché. Depuis les années quatre-vingt, nous avons également intégré les conséquences de ce choix réformiste : nous savons qu’il faut être sensible aux conséquences des décisions politiques sur les acteurs économiques et à la situation des investisseurs. Nous sommes tous d’accord pour aider les entrepreneurs qui en ont besoin.
Mais nous ne considérons pas le libéralisme comme la seule expression légitime du réalisme. Nous ne sommes pas d’accord pour réduire le socialisme contemporain à n’être plus que la variante sociale de cette idéologie qui, sous couvert d’adapter nos économies à la mondialisation, milite en toute circonstance pour le désengagement de l’Etat, la suppression des règles protectrices, l’aggravation du partage de la valeur ajoutée au profit du capital, l’assimilation de la contribution des entreprises à des « charges » qu’il faudrait constamment alléger, … Pour nous, le socialisme demeure une approche critique face à l’économie de marché, ses fondamentaux, sa logique et les conséquences sociales qu’il engendre. Face au capitalisme mondialisé et financiarisé, et son obsession destructrice pour la rentabilité immédiate, nous pensons que nos économies ont plus que jamais besoin de l’intervention stratégique de l’Etat et des collectivités locales pour stimuler et orienter la croissance à travers des politiques économiques, industrielles et écologiques adaptées. Nous continuons de croire au rôle irremplaçable de la puissance publique pour bâtir les infrastructures collectives, réaliser les investissements d’avenir, prévenir les atteintes à l’environnement. Nous estimons indispensable de revisiter l’idée d’économie mixte, fondée sur un nouvel équilibre entre l’initiative privée, l’intervention publique et l’économie sociale et solidaire. C’est une condition majeure pour promouvoir réellement un nouveau mode de développement au service des besoins humains et de l’équilibre de la planète.
L’attention que nous accordons aux vrais entrepreneurs ne s’assimile pas davantage à la défense des intérêts de classe des milieux dirigeants et des détenteurs de capitaux. Aujourd’hui comme hier, la vocation même du socialisme reste pour nous d’agir d’abord au service du monde du travail et de l’égalité en commençant par les plus modestes et les classes moyennes. Nous continuons de défendre la nécessité d’un droit régulateur et protecteur pour combattre la marchandisation du travail humain qui ressurgit aujourd’hui à travers les licenciements boursiers ou la précarisation croissante de la condition salariale. Nous pensons qu’il reste pertinent au XXIème siècle de vouloir réduire la domination du capital sur le travail en imposant aux dirigeants et aux actionnaires des restrictions et des limites auxquelles ils ne consentiront jamais spontanément. Notre fil directeur reste le combat pluriséculaire du socialisme pour l’égalité et la justice sociale. Attachés aux conquêtes du mouvement ouvrier et socialiste, nous voulons toujours défendre, moderniser et renforcer un modèle de société permettant, via les services publics, la protection sociale, la fiscalité redistributive, d’assurer l’accès de tous aux biens essentiels – éducation, santé, logement, culture,…- et de donner à chacun(e), quelles que soient ses origines sociales, la possibilité de s’épanouir et de trouver sa place dans la société. Dans la période actuelle, marquée par la crise économique et la détérioration des conditions de vie, nous considérons que la gauche au pouvoir doit être capable de s’adresser à l’ensemble de sa base sociale en menant de front la lutte contre le chômage et des réformes pour améliorer le pouvoir d’achat des couches populaires et moyennes salariées qui se sentent délaissés par l’Etat.
Ce n’est pas d’ailleurs parce qu’il a accepté l’économie de marché que le parti socialiste doit limiter son ambition à empiler des mini-progrès peu visibles, encore moins à atténuer les rigueurs d’une adaptation aux normes prétendument incontournables de la mondialisation libérale. Il doit à nos yeux résolument demeurer un parti de transformation sociale, capable d’entreprendre lorsqu’il gouverne de grandes réformes pour réguler sérieusement le pouvoir de la finance, inventer un autre modèle de développement, ou favoriser une égalité réelle dans notre société.
Cette distinction fondamentale entre un socialisme réformiste moderne et le libéralisme économique n’est pas une question nouvelle pour les socialistes. Après les défaites de 1993 et 2002, le débat a traversé notre formation politique. Il s’est à la chaque fois poursuivi par l’élaboration d’une offre politique et de programmes qui, malgré leurs lacunes ou leurs ambivalences, n’ont pas renoncé à la volonté de transformation sociale. Cette ambition, nous ne souhaitons pas aujourd’hui la voir remis en cause à la faveur d’une nouvelle expérience du pouvoir. Pas plus que nous ne souhaitons voir la gauche française importer chez nous avec dix à quinze ans de retard les recettes éculées du tandem Blair-Schröder que nous avions combattues en leur temps.
Disons-le clairement, cette volonté d’être fidèles à ce que les socialistes ont bâti et porté ensemble nous conduit évidemment à nous étonner des discours qui, à travers le jeu des « ballons d’essai », en viennent à stigmatiser les chômeurs, à remettre en cause les droits sociaux, l’encadrement des loyers voté à l’unanimité des partis de gauche. Nous nous interrogeons bien sûr surtout sur le tournant économique et social opéré à marche forcée par l’exécutif au lendemain des victoires du printemps 2012. Celui-ci s’est illustré par exemple dans la timidité de la loi bancaire ou le renoncement à légiférer sur la rémunération des dirigeants. Mais il se manifeste avant tout dans les options budgétaires et fiscales. Si personne ne nie la nécessité de réduire progressivement l’endettement public, nous déplorons en premier lieu une focalisation sur la réduction des déficits qui a conduit au cours des premières années à taxer lourdement les salariés et retraités modestes, et à s’éloigner ainsi la promesse d’un « redressement dans la justice ». Nous ne comprenons pas davantage que le gouvernement affiche aujourd’hui la volonté de maintenir l’intégralité de son programme d’économies alors que l’effet récessif supplémentaire de cette politique rend illusoire, partout en Europe et désormais en France, l’objectif même de réduire le déficit. Nous ne comprenons pas surtout qu’une partie de la gauche se soit embarquée, avec le CICE et le pacte de responsabilité, dans une politique massive et indifférenciée de baisses d’impôts et de cotisations sur les entreprises, en n’exigeant d’elles aucune contrepartie réelle en termes de création d’emplois. Alors qu’un très grand nombre d’entreprises souffrent d’abord de la faiblesse des carnets de commande, il nous paraît de surcroît inopportun de financer cette politique par des mesures restreignant le pouvoir d’achat des ménages ou l’investissement des collectivités locales. En s’alignant ainsi sur le dogme libéral de la baisse généralisée du « coût du travail » comme solution au problème du chômage, la gauche au pouvoir dilapidera ses marges de manœuvre et tourné le dos à ce qui faisait sa solidité et sa lucidité.
A la fois inefficace et perçue comme injuste, cette politique a sapé les bases de la confiance fragile qui nous avait été accordée en 2012. Après la sanction populaire des municipales, nous avons pris nos responsabilités et proposé publiquement un autre chemin, avec l’Appel des 100 : retour à un rythme de réduction des dépenses publiques plus adapté à la conjoncture économique, ciblage des aides sur les secteurs réellement exposés à la concurrence et sur les entreprises qui s’engagent, réutilisation des sommes correspondantes pour soutenir massivement la consommation populaire, l’investissement des collectivités locales et des programmes pour l’emploi des jeunes et de chômeurs de longue durée…En lieu et place des corrections marginales et des improvisions brouillonnes qui caractérisent la politique fiscale actuelle en direction des ménages, nous plaidons pour la mise en place de la grande réforme fiscale annoncée avant 2012, une réforme fondée en priorité sur la progressivité de la CSG, qui permettrait à la fois de rendre durablement du pouvoir d’achat aux couches populaires et moyennes et d’avancer vers un système de prélèvements enfin juste.
Ni « irréalistes », ni « irresponsables », ces propositions sont au contraire l’expression d’un retour à nos fondamentaux : ceux d’une gauche qui regarde en face les faits tels qu’ils sont, et non tels que l’idéologie dominante ou les intérêts des possédants les dépeignent, d’une gauche qui reste fidèle à elle-même et à ce que les Français attendent d’elle quand elle gouverne, une gauche qui veut résolument continuer à incarner la possibilité du progrès social et l’espérance des jours meilleurs, une gauche dont le projet ne peut être rétréci à une vision comptable et qui doit proposer une perspective collective d’avenir.
2. Réorienter la construction européenne
Héritiers de l’universalisme des Lumières et de l’internationalisme ouvrier, hostiles à toutes les formes de repli nationaliste, tous les socialistes sont favorables à la coopération entre les peuples et, plus particulièrement aujourd’hui, à l’approfondissement de la construction européenne. Nous voyons tous ce que cette dernière a apporté à la réconciliation durable de nations qui s’étaient violemment déchirées au cours des siècles passées. Face à la mondialisation libérale, qui percute les Etats providence, met en concurrence les droits sociaux, amenuise l’efficacité des politiques nationales de stimulation de l’économie, nous avons tous partagé le pari stratégique de reconstituer à l’échelle du continent un espace politique intégré rendant de nouveau possible la régulation du capitalisme et permettant de peser sur la scène mondiale.
Mais, précisément parce qu’elle est stratégique, cette approche doit à nos yeux rester…laïque. Nous ne sommes pas des euro-béats, considérant que toute avancée dans l’intégration européenne serait par essence positive. Nous sommes des pro-européens lucides et exigeants. Nous regardons les contenus idéologiques et les dynamiques politiques effectives du projet européen. Nous comprenons parfaitement que la construction européenne est un compromis en devenir, mais nous aspirons légitimement à retrouver à l’avenir les raisons qui motivent le projet européen pour les socialistes.
Depuis la relance de la construction européenne dans les années quatre-vingt-dix, et les nombreuses déceptions que celle-ci a engendré, ce débat traverse régulièrement le parti socialiste : l’unification européenne est-elle réellement le levier qui nous permettra, à travers l’harmonisation sociale par le haut et une politique budgétaire, monétaire et industrielle active de préserver notre économie et notre modèle social, ou est-elle, à travers la politique de la concurrence et les règles disciplinaires de l’orthodoxie monétariste, le « cheval de Troie » de la mondialisation libérale ? Les concessions faites à l’idéologie de la commission ou à la droite allemande sont-elles le prix transitoire à payer pour retrouver le chemin de la social-démocratie ou une dénaturation définitive du projet européen ? A plusieurs reprises, en 1992 avec le traité de Maastricht, en 2005 avec le TCE, en 2012 avec le TSCG, les socialistes se sont partagés sur les réponses à apporter à cette question.
Quoiqu’il en soit de ces débats du passé, nous considérons pour notre part que la gauche doit tirer profit de ses passages aux responsabilités pour porter fortement sur la scène européenne l’exigence d’une réorientation. C’était le mandat du 6 mai.
Nous regrettons, de ce point de vue que, fort de la légitimité que venait de donner à la France le suffrage universel, le pacte budgétaire européen concocté par le tandem conservateur Merkel-Sarkozy n’ait pas renégocié réellement en 2012, ou que les discussions de février 2013 sur le budget de l’Union n’aient pas permis d’obtenir la mise en place d’une véritable politique de relance. Mais nous récusons surtout la subordination résignée. Nous souffrons de voir la France, telle une « mauvaise élève » un peu honteuse, devoir aller « plaider » des délais pour la mise en œuvre de la politique des 3% plutôt que d’interroger publiquement la pertinence même de ces critères absurdes qui enfoncent le continent dans la récession. Le gouvernement français n’a pas à venir rechercher l’approbation de la droite allemande à l’endroit de son « pacte de responsabilité », requalifié pour les besoins de la novlangue bruxelloise en « réforme structurelle ». Après avoir été la prétendue solution au problème du chômage, cette politique de baisse de « charges » sans contreparties est désormais présentée aux députés socialistes comme le gage à donner à la droite européenne pour pouvoir laisser filer les déficits, comme si l’appartenance à l’Union européenne devait nous imposer en tout état de cause une dose incompressible de libéralisme économique ! Enfin, nous ne pouvons accepter que le projet de taxe sur les transactions financières, défendu depuis plus de 10 ans par le Parti Socialiste Européen, ait été largement vidé de sa substance pour répondre aux desideratas de la place financière de Paris. Nous exigeons que la promesse du Bourget soit tenue : cet instrument de lutte contre la spéculation doit porter sur l’ensemble des flux financiers et inclure notamment tous les produits dérivés.
Nous considérons que la France, pays co-fondateur et moteur de l’Union européenne, et directement menacée par la montée de l’extrême-droite, a mieux à faire dans cette période que de se couler ainsi dans le moule de l’idéologie dominante.
Une période historique cruciale s’est ouverte avec la crise financière et économique de 2008. Au bord du gouffre, menacée de la désaffection généralisée des peuples, dont la montée générale des néo-populismes constitue un symptôme, l’Europe est acculée à l’urgence de montrer son efficacité. Elle ne peut être le seul continent qui, au nom de la fidélité de ses gouvernants à des dogmes dépassés, voit durablement la reprise se dérober. Les dirigeants de la Banque centrale ont pris leurs responsabilités en décidant, face à la crise des dettes publiques, le risque de déflation et l’envolée de l’euro, d’affranchir enfin leur politique des carcans du monétarisme dans lesquelles elle s’était enfermée depuis Maastricht. Le gouvernement socialiste français doit prendre les siennes en réclamant clairement la sortie de la logique d’austérité généralisée et absurde dans laquelle nous enferme le dogme des 3% et en proposant une révision du Pacte du stabilité favorable aux investissements d’avenir.. Au lieu d’ériger leur politique économique en « modèle » à suivre et de solliciter leur indulgence à l’égard de nos prétendues faiblesses, il est également temps de rappeler à nos amis allemands que leurs énormes excédents commerciaux sont aussi dus, au-delà de la compétitivité naturelle de leur industrie, à une politique unilatérale de compression salariale dont la généralisation aurait conduit l’Europe à s’enfoncer encore davantage dans la crise. Quitte à assumer la confrontation politique au sein de l’Union européenne comme une étape nécessaire, il est temps de donner corps à cette « tension amicale » évoquée par François Hollande pour obtenir de notre voisin sa contribution nécessaire et légitime à la relance de l’activité continentale.
L’Europe demeure un projet magnifique, mais une décennie après l’introduction de l’euro, elle a besoin de se réinventer pour répondre réellement aux espérances que les peuples ont pu mettre en elle. Elle a besoin pour cela que la gauche française, redevenue elle-même, prenne l’initiative de montrer le chemin du renouveau.
3. Refonder nos institutions pour renforcer la démocratie
Attachés à la puissance publique comme outil de transformation de la société, les socialistes ont compris l’importance d’institutions efficaces permettant à ceux qui exercent les responsabilités d’entreprendre les réformes pour lesquelles ils ont été élus. Aucun d’entre nous ne propose, de ce point de vue, de revenir à l’instabilité gouvernementale chronique des Républiques précédentes.
Nous n’en considérons pas moins, pour notre part, que la Vème République est aujourd’hui un régime usé, à bout de souffle, et dont les défauts criants contredisent les principes mêmes de la démocratie.
Nous ne nions pas l’intérêt de disposer, à travers le scrutin présidentiel, d’un grand rendez-vous électoral, conférant à celui ou celle ainsi choisi par l’ensemble des français d’une légitimité particulière. Mais nous récusons la lecture quasi « monarchique » du régime qui en a été déduite et qui s’est confortée au fil des décennies. Nous n’acceptons plus qu’un homme seul puisse décider et arbitrer toute la politique d’un pays. Nous n’acceptons plus la logique disciplinaire totalement surannée qui réduit les ministres, représentatifs de la diversité de la majorité, en subordonnés prétendument condamnés au silence ou à la démission. Nous n’acceptons plus, surtout, la relégation permanente du Parlement, allant au-delà de la lettre de la Constitution, et entretenue par une injonction permanente invitant les députés de la majorité à voter les yeux fermés et à n’exercer leur droit d’amendement que dans les limites étroites concédées par l’exécutif.
Nous voyons en effet les conséquences de cette logique : la propension récurrente des présidents élus à oublier les engagements pris devant les Français, sans que s’exerce la moindre contradiction, transforme le principe de souveraineté populaire et la démocratie représentative en pures illusions. L’exercice solitaire du pouvoir accroît, dans une économie et une société de plus en plus complexe, le risque de se tromper dans les choix politiques. Il accroit aussi l’influence des milieux d’affaire qui n’ont en quelque sorte, pour exercer leur colossale pression, qu’une porte à pousser. Loin de la magie monarchique, l’impossibilité des présidents actuels à satisfaire seuls les espérances que les élections présidentielles font régulièrement renaître, et les difficultés nouvelles qu’ils rencontrent dans l’incarnation de la fonction, alimentent la déception croissante à l’égard du système politique. Elles font le lit de l’abstention et du vote protestataire.
Nous savons bien que notre propre parti a participé, à travers le temps et ses propres choix institutionnels, à la consolidation de cette logique. Dès le début du quinquennat, nous avons exprimé nos inquiétudes et nos désaccords avec des décisions non discutées avec les parlementaires, comme l’instauration du CICE ou du pacte de responsabilité, qui tournaient le dos au contrat démocratique que nous avions souscrit ensemble avec les électeurs. Au lendemain des municipales, nous n’avons pas accepté que le message de désarroi et de colère contenu dans les urnes soit occulté au nom de « l’inflexibilité » présidentielle et gouvernementale qu’autoriserait la Vème République.
Refusant d’obéir aux injonctions disciplinaires sans cesse réitérées, ignorant les menaces ou les pressions, ceux d’entre nous qui siègent à l’Assemblée ont pris leurs responsabilités de parlementaires en portant librement leurs amendements dans l’hémicycle et en votant, à plusieurs reprises, selon leur conscience et dans la fidélité à leurs convictions et à leurs électeurs. Ce mouvement d’émancipation parlementaire a été critiqué, mais nous le revendiquons pleinement. Nous pensons utile, pour maintenir l’espérance dans le pays, pour garder la possibilité d’un dialogue avec l’ensemble des forces politiques et sociales de la gauche, de montrer qu’il existe – au Parlement, dans le parti – des socialistes qui ne se résignent pas au tournant social-libéral actuel. Nous refusons de « rentrer dans le rang » au nom de la seule discipline majoritaire, quand les débats n’ont pas réellement lieu. Nous estimons que si notre parti est en difficulté devant les Français, ce n’est pas en raison de notre action mais en raison de la politique qu’il mène, quand elle n’est ni efficace, ni juste, ni lisible, ni conforme aux raisons pour lesquelles le peuple français nous a fait confiance.
Nous souhaitons que le parti socialiste se saisisse pleinement, avant la fin du mandat, de cette question des institutions à travers une convention qui lui serait dédiée. Tout en admettant l’idée que les Français soient attachés à l’élection du président de la République au suffrage universel, nous pouvons néanmoins remettre en question tout ce qui affaiblit la démocratie : l’article 49-3 de la Constitution, le droit de dissolution et toutes les procédures qui affaiblissent nos délibérations et le Parlement. Nous proposons de changer collectivement « l’imaginaire politique » de notre République en remplaçant sa fausse infaillibilité, les arbitrages autoritaires, les décisions « irrévocables » par des contrats de majorité collectivement négociés. Nous proposons de reconnaître que l’exercice de l’intelligence collective est plus adapté aux défis de notre société contemporaine que le mythe du leader omniscient. Nous proposons de nous rapprocher un peu plus de cet idéal démocratique pour lequel des générations d’hommes et de femmes ont versé leur sang.