La Commission des Affaires Culturelles et de l’Education de l’Assemblée Nationale accueille en ce moment une délégation de la Commission de la Culture et des Médias du Bundestag.
Dans ce cadre, une audition de Catherine Trautmann, Présidente du Haut Conseil Culturel Franco-Allemand, et de Doris Pack, Ancienne Présidente de la Commission pour la Culture du Parlement Européen était organisée ce mercredi matin sur le thème de l’avenir des droits d’auteurs dans l’Union Européenne.
Hervé Féron est intervenu au nom du groupe Socialiste, Républicain et Citoyen, relayant les inquiétudes quant aux propositions du rapport Reda qui vont à l’encontre de l’action française en faveur de la protection des artistes et de la diversité culturelle. Il a également souhaité connaître l’avancement des travaux concernant la régulation du marché des plateformes numériques dans l’Union Européenne.
Retranscrit de l’intervention d’Hervé Féron :
Le directeur général de la Société civile des acteurs multimédias (Scam) a déclaré que le rapport Reda allait donner le « la » de la réforme » sur le marché numérique unique. Or, ce rapport, confié à une eurodéputée membre du parti pirate allemand, inquiète beaucoup, notamment en France, car les défenseurs du droit d’auteur y voient une menace de nivellement par le bas en la matière. En particulier, le fait de s’attaquer à la territorialité des droits ou de prôner une harmonisation des règles en matière de rémunération pour copie privée apparaissent non pertinentes et même dangereuses, car les fragiles équilibres propres à chaque pays qui ont pu être trouvés risqueraient fort de s’effondrer.
Nous ne pouvons pas non plus nous empêcher de noter que l’eurodéputée Reda était favorable à un raccourcissement de la durée de protection des droits d’auteurs de 70 à 50 ans, alors même que nous avons voté en fin d’année dernière un Projet de loi allant précisément dans le sens inverse. En effet, en retranscrivant en droit interne la directive de 2011, nous avons porté de 50 à 70 ans la durée de protection des droits des artistes-interprètes et des producteurs de disques, en leur assurant de fait une rémunération plus durable. Ainsi, ce rapport va totalement à l’encontre de notre action de protection vis-à-vis des artistes, sans laquelle il ne pourrait y avoir de diversité culturelle.
En découvrant ce rapport, on a l’impression que le parti retenu est essentiellement celui du consommateur du marché unique, qu’on affiche une priorité décomplexée de lui donner accès au réseau le plus performant et le plus sûr, de lui offrir en ligne des services nouveaux, tout cela évidemment au meilleur prix… Mes chers collègues, nous le savons, la culture n’est pas un bien de consommation comme un autre, car comme le disait si bien M. Juncker lui-même en 2005, « elle ne se prête pas à l’harmonisation, ni à la standardisation, ni à la réglementation stupide » ! Que vaut le confort de certains qui auront accès à leurs chaînes nationales depuis n’importe où en Europe ou qui pourront transporter avec eux leur tablette pour pouvoir visionner leurs matches de foot préférés, si c’est pour se retrouver en retour avec un appauvrissement de notre force et de notre diversité culturelles, louées dans le monde entier ?
Vous aurez compris que nous n’envisageons ce rapport, ainsi que l’idéologie qu’il prône, qu’avec beaucoup de circonspection de mon point de vue de député français attaché à la défense des droits d’auteurs et de notre exception culturelle. Mesdames, vous qui connaissez si bien les institutions européennes, et à plus forte raison le Parlement de Strasbourg, quel crédit apportez-vous aux paroles du Président de la Scam quand il assure que ce rapport guidera la réforme du droit d’auteur voulue par le Président Juncker ? Vous-mêmes, jugez-vous certaines des préconisations de ce rapport véritablement pertinentes, et si oui, lesquelles ?
Je profite de cette intervention pour vous poser quelques autres questions :
– Lors d’un Conseil des Ministres le 19 février dernier, la France et l’Allemagne ont fait part de leur volonté commune de mieux réguler les plateformes dans l’Union européenne, dont les plus connues sont Google Amazon, Facebook et Apple. Tout récemment, c’est le président de l’Arcep, l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, qui s’est déclaré favorable à une harmonisation des règles fiscales dans l’Union pour éviter que ces mastodontes n’aillent s’installer dans les paradis fiscaux irlandais et hollandais afin de mieux inonder le marché européen de leurs offres ultra-concurrentielles. Pouvez-vous nous informer de l’avancée des travaux sur ce « front » commun ?
– Dans l’Union européenne, tellement d’intérêts coexistent et divergent qu’il se produit une véritable cacophonie au sein de laquelle il est difficile, même à des puissances économiques comme la France et l’Allemagne, de se faire entendre. Je reprendrai l’exemple de la lutte contre le blocage géographique des contenus, dans laquelle la Commission européenne semble particulièrement impliquée, bien que peu d’Européens soient concernés. Alors même que la suppression du « geoblocage » risquerait de remettre en cause l’intégralité du système de droits d’auteurs, elle a été inscrite à l’agenda prioritaire des réformes par le commissaire au marché numérique, l’Estonien Andrus Ansip. Ne pensez-vous pas que nous nous trompons de priorité, alors même que les GAFA nous écrasent, que le piratage commercial bat son plein, et que nous avons toujours désespérément besoin d’une véritable politique industrielle culturelle en Europe ? Quels sont les moyens pour la France de peser aujourd’hui dans la conduite et la priorisation des réformes ?